| Il boit une huit-six, mini Austin, il sort du périph'
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| Gangsta rap culture, cette musique l’a rendu autiste
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| Il a rencard avec une fille, moitié Brésilienne, moitié Kabyle
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| Gogo danseuse, elle dit être artiste
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| Il connaît toutes les répliques du film Scarface
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| Le frère, il dit «Mes mains, elles sont pas faites pour cette merde»
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| La cité l’a vu grandir, lui a tourné la tête
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| Parce que, selon le contexte, on confond force et faiblesse
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| Elle chante, elle rêve de la carrière de Wallen
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| Elle a perdu tout repère depuis le décès de son père
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| C’est l’allégorie d’une fille facile qu’est assise à la place du mort
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| Qui pense que «Je t’aime» n’est qu’un mouvement du corps
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| Elle oscille, va et vient, se donne et regrette ensuite
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| Lui, il kiffe, SMS, elle se pointe de suite
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| Il vend de la C.C. alors il joue les barons, le duc de la cité
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| Leurs cœurs battent de concert, affective mendicité
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| Il s’appelle Roméo, elle s’appelle Juliette
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| Roméo et Juliette
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| Il accélère, elle rabat un peu le dossier du siège
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| Il lui dit «Tu es belle», elle s’engouffre dans le piège
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| Puis dévie, elle dit «En ce moment, je lis Malraux»
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| Elle a une fausse poitrine et les fantasmes d’une bimbo
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| Alors fatalement, ce qui l’intéresse chez elle au départ, c’est pas son cerveau
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| Elle s’en rend bien compte et se mordille la lèvre comme quand, gamine,
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| elle jouait au cerceau
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| Ce monde il est horrible et nos gamins, ils y périssent tellement vite!
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| Mais on en est tous là, c’est juste l’amour qu’on cherche à vivre
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| Et si ça part en vrille c’est que, sans modèle, t’es livré à toi-même
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| Et l'âpreté de la vie ne rend pas forcément meilleurs les caractères
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| On peut même être, sous des apparences contraires, indifférent à l’autre quand
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| la douleur est égocentrée
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| Parce qu’en vérité c’est sur nous-même qu’on s’est prosterné
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| C’est juste une métaphore qui pourrait être biblique, comme le Veau d’or
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| Parce que notre époque est d’accord dans le désaccord
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| On est déchiré par l’absence et le vide
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| En prise avec nos paradoxes, le besoin d’amour complique
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| Il s’appelle Roméo
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| Elle s’appelle Juliette
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| Roméo et Juliette
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| Elle approche son visage, se rétracte, se demande
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| Si, au fond, elle-même n’est pas une sorte d’offrande
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| Sacrifiée sur l’autel de toutes celles qu’ont mal
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| Qui souffrent, qui peinent tellement de ne pas avoir confiance en elles
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| Même si elle sait bien que son «Je t’aime» est factice
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| Elle se dit aux yeux de quelqu’un au moins elle existe
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| Lui, il a la main gauche sur le volant, l’autre sur sa jambe à elle
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| La voiture file et leurs cœurs se fêlent
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| Si elle était sa sœur et lui un mec quelconque
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| Il retire sa main à cette pensée, passe les vitesses et fonce
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| En prison, souvent, il se disait «Quand je sors, je change»
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| Mais dehors, son démon prenait toujours le pas sur son ange
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| Il tourna la tête à gauche et le camion déboula à droite |